One-shot écrit dans le cadre des défis "Le mouvement perpétuel" de la Ficothèque Ardente. Le thème était "La nostalgie", les contraintes à respecter était d'écrire un minimum de 1000 mots. 
Fandom : Professeur Layton (qui ne m'appartient pas)
Couple : Clive Dove x Flora Reinhold.

Divorcée


Les freins lancèrent un hurlement aigu quand le pied chaussé d’un talon ni trop petit ni trop grand s’enfonça brutalement sur la pédale. Les pneus crissèrent en dérapant sur la chaussée humide. Le nez de la voiture s’arrêta à quelques millimètres du grand homme dégingandé qui avait traversé sans regarder. La portière s’ouvrit d’un coup et une tornade colorée s’échappa de l’habitable en hurlant : de colère, de peur, de soulagement, un peu tout à la fois.

_ J’aurais pu vous tuer ! !

Le type lança un regard surpris à la conductrice. Elle-même s’arrêta de crier dès qu’elle posa les yeux sur son visage.

_ Oh mon dieu, Clive !

_ Ça pour une surprise…

_ Dix-huit ans.

_ Peut-être bien…

_ Moi, je le sais. Je compte les années, les mois…Les jours.

_ A ce point ?

_ En m’abandonnant, tu m’as brisée, Clive. Tu le savais pourtant. Je ne pouvais pas vivre sans toi.

Un silence suivit cette déclaration. Les deux protagonistes de cette discussion s’étaient retrouvés au premier bar qu’ils avaient trouvé histoire de boire un café ensemble. Ils avaient eu beaucoup de mal à se lancer dans une conversation, qui maintenant patinait. Après des années sans s’être vu, le contact avait du mal à se rétablir. La femme brune, belle encore malgré la cinquantaine approchant, touilla délicatement son café crème.

_ Le passé…peu importe, soupira-t-elle. J’ignorais que tu étais de retour. Tu aurais pu me prévenir.

Le reproche dans sa voix était palpable. L’homme gardait les yeux obstinément fixés sur sa bière. Il n’était que dix heures et demie et elle craignait ce qu’il était devenu. Ses yeux cernés et sa barbe de plusieurs jours dénotaient qu’il ne prenait pas beaucoup soin de lui-même.

_ Désolé Flora. Je voulais pas te donner de faux espoirs, je…je suis juste de passage.

_ Combien de temps ?

_ C’était une semaine, mais aujourd’hui est le dernier jour.

_ Oh.

_ Tu es devenue quoi ?

Tentative maladroite de changer de sujet. De briser le silence. De chasser le malaise épais qu’ils éprouvaient tous les deux. A la grimace soudaine de la femme, ce n’était pas la bonne question. Clive poussa un nouveau soupir.

_ J’ai fait une bourde, hein ?

Flora haussa les épaules.

_ Tu n’as pas voulu de moi, tu es parti, dit-elle d‘une voix morne. Tu m’as laissée toute seule, et j’ai poursuivi ma vie. J’ai épousé un homme très gentil, j’ai eu des enfants, j’ai travaillé. Je voulais pas être toute seule, juste. Cette vie me satisfaisait.

_ Je suis désolé…

_ De quoi ? Je n’étais pas malheureuse, tu sais.

Clive baissa les yeux. Il était partagé entre divers sentiments, la satisfaction que Flora ait eu la vie qu’elle méritait, la tristesse face à son ton las et résigné, un peu de jalousie, aussi. Mais il n’avait pas son mot à dire, c’est lui qui l’avait laissée tomber.

_ Mais je n’ai jamais été pleinement heureuse, non plus.

Leurs mains se rejoignirent d’instinct.

_ J’étais satisfaite, c’est tout, poursuivit Flora, la voix résignée. J’avais un mari gentil, que j’ai aimé mais jamais autant que toi, mais il est là. Il l’était du moins, puisqu’on a divorcé. J’adore mes enfants, ce sont mes rayons de soleil, même s’ils n’ont plus besoin de moi, maintenant. Et je n’ai jamais cessé de t’aim…

_ Flora, n‘en dis pas plus.

Clive retira ses mains de la femme pour l’empêcher de prononcer ces mots qui les perdraient tous les deux. Il ne pouvait pas rester, il ne resterait pas, ils le savaient tous les deux. Quelque chose entre eux était impossible. Cependant, Flora voulait avouer ce qui lui pesait sur le cœur depuis que Clive était parti, un jour de septembre, sans lui en parler, sans lui dire au revoir, sans même lui laisser un mot d’explications.

Ce jour-là, elle avait cru mourir. Le chagrin avait été si grand qu’il lui avait semblé que son cœur se déchirait littéralement. Seul la présence et le soutien de son père, de ce cher Luke qui était comme un frère pour elle, avaient réussi à la maintenir à flots.

_ Et toi ? Demanda-t-elle d’une voix cassée, pour essayer de penser à autre chose.

_ Rien, répondit Clive avec sincérité. A part un boulot pas trop mal, qui me fait beaucoup voyager. Rien d’autre.

_ Pas de…

Le pouce de l’homme traça un cercle sur la main blanche et fine de Flora. Il savait ce qu’elle essayait de lui demander et secoua négativement la tête.

_ Non. Rien. Tu étais…tu es la seule.

_ Je t’aime. Je n’ai jamais cessé. Je t’attendais. Tu ne pourras pas m’empêcher davantage de te le dire.

La déclaration avait été brutale mais pas inattendue. Ces mots pesaient sur Flora depuis tant de temps qu’elle avait dépassé le stade de la gêne en les avouant. Ils n’étaient de toute façon plus des adolescents. Clive semblait triste.

_ C’est justement parce que je t’aime aussi que je suis parti autrefois. Que je repartirais, encore.

_ Ne me fais pas ça.

Les mains de Flora se refermèrent avec force sur celle de son amour de toujours. Avec toute la force qu’elle put mettre dans cette étreinte.

_ Ne m’abandonne pas, murmura-t-elle.

La supplique de ses grands yeux noir était irrésistible pour Clive. Il n’avait jamais rien pu lui refuser. Et c’était pour la protéger, pour lui assurer une vie normale, qu’il s’était enfui, autrefois. Pour ne pas avoir à subir la supplique de ces yeux qu’il aimait tant.

Ni l’un ni l’autre n’avaient réfléchi et il n’avait fallu que le temps du trajet pour qu’ils se retrouvent ensemble dans la chambre d’hôtel de Clive, trop obnubilés l‘un par l‘autre pour faire attention à ce qu‘il se passait autour d‘eux. Ils avaient tous deux attendu ce moment si longtemps qu’il était impossible que ça se passe autrement.

Si l’unique nuit qu’ils avaient partagée, il y a de cela dix-huit, avait eu la passion de jeunes amants enfin réunis, celle-ci promettait d’avoir la douceur et la tendresse de deux cœurs solitaires usés par la vie.

La chambre contenait le strict minimum en matière de meubles, les rideaux étaient tirés comme pour dissimuler la lumière du jour. Flora n’eut ni le temps ni l’envie de poser des questions. Elle se contenta de savourer les bras de Clive autour de son corps et le laissa la déshabiller.

_ Ça ne te pose aucun problème ? Demanda-t-il, juste pour être sûr.

_ Je suis divorcée et libre comme l’air…

Elle l’embrassa pour bien lui prouver qu’elle n’aimait et ne voulait que lui. Ils s’allongèrent sur le lit une place, tout juste assez grand pour les contenir tous les deux. Ils se redécouvrirent en constatant au fil des baisers et des caresses, constatant qu’ils n’avaient rien oublié l’un de l’autre malgré le temps. Clive remarqua avec une certaine tristesse que le corps de la femme était fin, plus qu’auparavant quand elle affichait des formes délicieuses. La vie et le temps avaient fait leur œuvre. Flora s’accrocha aux épaules de son amour de toujours, comme si sa vie en dépendant, gémissante :

_ Je t’aime…

_ Je t’aime aussi, lui assura Clive.

Tout en lui caressant le dos, il se glissa contre elle et ils firent l’amour comme s’ils n’avaient jamais été séparés.

_ Ne me mens pas.

_ Oui, je vais repartir.

Clive avait avoué la vérité à voix basse, comme si lui-même n’arrivait pas à s’y résoudre. Ils avaient tous les deux passé des heures enlacés, à parler et s’aimer, jusqu’à ce que finalement, la réalité les rattrape. L’homme avait raccompagné Flora à l’appartement où elle vivait seule depuis son divorce. Comme lorsqu’elle n’était pas encore mariée et qu’ils s’étaient retrouvés tous les deux. Le passé se répétait, ils n’avaient jamais été destinés à être ensemble.

_ Tu sais où je vis, soupira Flora. Peut-être qu’un jour, tu te rendras compte que toi et moi, c’est possible.

_ Je sais pas.

_ Ma porte te sera toujours ouverte. N’oublie pas.

_ Je n’oublierais pas.

Le bout des doigts de Clive effleurèrent la joue pâle de Flora avec tellement de tendresse et de regrets qu’elle sentit les larmes couler sur ses joues sans qu’elle puisse les en empêcher.

Un clignement de paupières et il n’était plus là. De nouveau porté disparu.